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1. Introduction : l’enjeu de la sécurité dans les opérations de levage

Les opérations de levage en milieu professionnel, qu’il s’agisse de déplacer des charges ou d’élever du personnel pour des travaux en hauteur, sont au cœur de la productivité de nombreux secteurs. Cependant, elles représentent également des risques majeurs, souvent sous-estimés. L’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) a mis en évidence le danger inhérent à l’utilisation de ces équipements, indiquant que 10 salariés sont tués chaque année dans des accidents impliquant des chariots de manutention, dont la moitié des décès est directement liée au renversement latéral de l’engin. Ces chiffres alarmants soulignent l’impératif d’une maîtrise parfaite des équipements et d’une stricte application des cadres législatifs.  

Dans ce contexte, il est essentiel de distinguer deux familles d’appareils de levage, régies par des réglementations distinctes mais complémentaires : les chariots automoteurs de manutention et les plateformes élévatrices mobiles de personnel (PEMP), communément appelées nacelles. Le chariot élévateur est un équipement conçu principalement pour le levage et le déplacement de charges, comme les palettes. À l’inverse, la nacelle est spécifiquement destinée au transport d’une ou plusieurs personnes pour l’exécution d’un travail en hauteur. Cette différence de conception et de fonction est la clé de voûte de toute la législation en matière de sécurité.  

Le présent rapport a pour objectif d’analyser en profondeur le cadre législatif français qui régit ces deux types d’équipements. Il détaille les obligations de l’employeur en matière de formation, de délivrance d’autorisation et de maintenance, ainsi que les lourdes conséquences juridiques et financières en cas de non-conformité. Une attention particulière est portée à la distinction entre ces équipements et à la responsabilité de chaque acteur dans la chaîne de sécurité.

2. Le cadre légal fondamental : Code du travail et normes

Le fondement de la réglementation française en matière de sécurité au travail est établi par le Code du travail. En son Article L. 4321-1, il impose une obligation générale de sécurité pour tous les équipements de travail utilisés en entreprise. Ces derniers doivent être “équipés, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la sécurité et la santé des travailleurs”. Ce principe de prévention est la base sur laquelle toutes les autres dispositions sont construites.  

La distinction légale entre chariot et nacelle

Le Code du travail distingue explicitement les équipements servant au “levage de charges” de ceux servant au “levage de personnes”. Cette distinction est fondamentale et structure la totalité de la réglementation applicable. L’utilisation d’un chariot élévateur, conçu pour le levage de charges, afin de soulever du personnel pour des travaux en hauteur, est un détournement de sa fonction première qui constitue une violation de cette obligation d’adéquation. Bien qu’il n’existe pas d’article unique interdisant formellement cette pratique, cette interdiction est une conséquence logique et juridique d’une chaîne de dispositions réglementaires :  

     

      • Les normes de conception, comme la NF EN ISO 3691-1, définissent les exigences de sécurité et de vérification pour les chariots de manutention automoteurs. Ces normes ne prévoient pas le levage de personnes.

      • En parallèle, la norme NF EN 280+A1 et le Décret n° 2008-244 encadrent spécifiquement la conception et l’utilisation des nacelles, qui sont des machines exclusivement dédiées au levage de personnes.

      • Le Code du travail, en son Article R. 4323-55, exige que l’employeur s’assure de l’utilisation “appropriée des engins”.

    L’utilisation d’un chariot élévateur pour élever des personnes contrevient donc directement à ces principes, car l’engin n’est pas “approprié” pour cette tâche, augmentant de manière critique les risques de basculement ou de chute.

    Les obligations de formation et d’autorisation

    La conduite d’équipements de travail mobiles automoteurs et des équipements de levage est strictement encadrée. Selon l’Article R. 4323-55, elle est réservée aux travailleurs ayant reçu une formation adéquate. Cette formation est complétée et réactualisée si nécessaire. L’Article R. 4323-56 précise que la formation doit porter sur les conditions d’utilisation en sécurité et la conduite à tenir en cas de danger.  

    Le Décret n° 98-1084 du 2 décembre 1998, et son arrêté d’application, ont posé les bases de cette réglementation, en imposant une formation rigoureuse pour les conducteurs d’équipements de levage. Ces textes fondateurs, ainsi que le Décret n° 2004-924 sur le travail en hauteur, constituent le socle de la prévention des risques liés à ces activités.  

    3. La certification de compétence : CACES® (Certificat d’Aptitude à la Conduite en Sécurité)

    La notion de CACES® (Certificat d’Aptitude à la Conduite en Sécurité) est au cœur du dispositif de prévention des risques liés à la conduite d’engins. Il est crucial de comprendre que le CACES® n’est pas une obligation légale directe du Code du travail, mais une attestation de compétence professionnelle élaborée par la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie (CNAM). Il permet aux employeurs de s’assurer du “savoir-faire” d’un salarié pour la conduite en sécurité d’une catégorie d’engin donnée. Le CACES® est valable 5 ans pour la plupart des équipements de levage.  

    Le CACES® R489 pour les chariots élévateurs

    La recommandation R.489, en vigueur depuis le 1er janvier 2020, a remplacé la R.389 et classifie les chariots de manutention en plusieurs catégories. Chacune de ces catégories correspond à un type d’engin et à des compétences spécifiques.  

    Catégorie CACES® R489 Type d’engin et caractéristiques Usage principal
    1A Transpalettes à conducteur porté et préparateurs de commandes au sol (hauteur de levée <= 1,20 m)   Transport de charges sur de courtes distances en entrepôts  
    1B Gerbeurs à conducteur porté (hauteur de levée > 1,20 m)   Gerbage et dégerbage de charges palettisées  
    2A Chariots à plateau porteur (capacité < 2 t)   Manutention de charges en entrepôt et dans des environnements confinés  
    2B Chariots tracteurs industriels (capacité de traction < 25 t)   Remorquage de charges lourdes sur des courtes distances  
    3 Chariots élévateurs frontaux en porte-à-faux (capacité <= 6 t)   Levage de charges lourdes en entrepôts et zones de chargement  
    4 Chariots élévateurs frontaux en porte-à-faux (capacité > 6 t)   Levage de charges très lourdes, souvent en extérieur  
    5 Chariots élévateurs à mât rétractable   Stockage et déstockage dans des allées étroites  
    6 Chariots élévateurs à poste de conduite élevable   Levage de personnes pour des travaux en hauteur  
    7 Conduite hors production   Déchargement de camions, essais, ou conduite sur sites hors exploitation  

    Il est important de noter que la catégorie 6, “chariots élévateurs à poste de conduite élevable”, se distingue des autres. Cet engin est conçu pour permettre au cariste de s’élever avec la charge, ce qui le rapproche, dans son usage, du levage de personnes. Toutefois, cet appareil reste un chariot élévateur et n’est pas une nacelle au sens strict de la réglementation.  

    Le CACES® R486 pour les nacelles (PEMP)

    La recommandation R.486, qui a succédé à la R.386, est spécifiquement dédiée aux nacelles (PEMP). Elle est divisée en plusieurs catégories pour tenir compte des spécificités des équipements :  

       

        • Catégorie A : Nacelles à élévation verticale, comme les plateformes ciseaux.

        • Catégorie B : Nacelles à élévation multidirectionnelle, comme les nacelles articulées ou télescopiques.

        • Catégorie C : Conduite des nacelles hors production.

      Cette distinction par catégorie vise à garantir que l’opérateur est formé et certifié pour le type exact de machine qu’il est amené à utiliser, renforçant ainsi la sécurité des opérations.  

      4. L’autorisation de conduite : l’obligation de l’employeur

      La certification CACES® n’est pas le seul prérequis pour la conduite d’un engin de levage. Le Code du travail, en son Article R. 4323-58, pose une exigence primordiale : la délivrance d’une autorisation de conduite par l’employeur. Ce document, nominatif et individuel, est la seule habilitation légale permettant à un salarié de conduire un engin.  

      La délivrance de cette autorisation repose sur trois piliers fondamentaux que l’employeur est tenu de vérifier :  

         

          1. L’aptitude médicale : Le salarié doit avoir été déclaré médicalement apte à la conduite de l’équipement par le médecin du travail.

          1. La formation et le savoir-faire : L’employeur doit s’assurer que l’opérateur a reçu une formation adéquate et qu’il possède les connaissances théoriques et pratiques nécessaires. L’obtention d’un CACES® est le moyen le plus courant et le plus fiable pour prouver ce savoir-faire, bien que ce ne soit pas la seule méthode légalement reconnue.

          1. La connaissance des lieux de travail : L’opérateur doit maîtriser les instructions spécifiques de l’entreprise et les particularités du site sur lequel il va opérer.

        L’employeur est le seul responsable de ce processus. Même si un salarié détient plusieurs CACES® valides, il ne peut pas opérer un engin dans l’entreprise sans que l’employeur lui ait formellement délivré l’autorisation de conduite correspondante. L’absence de cette autorisation est une faute grave qui expose l’entreprise à de lourdes sanctions en cas d’accident.  

        5. Les vérifications et la maintenance des équipements

        Le cadre réglementaire ne se limite pas à la formation des opérateurs ; il impose également un contrôle rigoureux des équipements eux-mêmes. L’Article R. 4323-23 stipule que les équipements présentant des risques particuliers doivent faire l’objet de “vérifications initiales et périodiques”.  

        La Vérification Générale Périodique (VGP)

        La VGP est une obligation légale, rendue concrète par le Décret n° 98-1084 et l’Arrêté du 1er mars 2004, qui impose une VGP pour les appareils de levage tous les six mois. Cette vérification, effectuée par une personne qualifiée (interne ou externe), a pour but de détecter toute détérioration susceptible de créer un danger. Elle se compose d’un examen de l’état de conservation et, pour la mise en service, d’épreuves statiques et dynamiques.  

        Le registre de sécurité et l’entretien

        L’employeur a l’obligation de tenir un registre de sécurité où sont consignées toutes les vérifications, maintenances et réparations. Ce document est une preuve de la diligence de l’employeur en cas de contrôle de l’Inspection du travail ou d’enquête après un accident. Le non-respect du calendrier de maintenance et des VGP peut invalider l’ensemble du dispositif de sécurité, exposant l’employeur à la qualification de faute.  

        Les vérifications de prise de poste

        Au-delà des vérifications périodiques, l’opérateur a l’obligation de réaliser un examen visuel de l’engin avant chaque utilisation pour déceler d’éventuels problèmes (niveaux de fluides, état des pneus, fonctionnement des commandes et des alarmes).  

        6. Les règles de sécurité lors de l’utilisation

        Le respect des procédures d’utilisation est le dernier maillon essentiel de la chaîne de sécurité. L’employeur doit mettre en place des mesures de prévention pour éviter les risques de chute de personnes ou de collision.  

        Le port du harnais de sécurité

        Le port du harnais de sécurité sur une nacelle est un exemple parfait de la convergence entre les obligations légales, les recommandations et la logique de prévention. L’Article R. 4323-64 du Code du travail impose l’utilisation d’un “système de retenue adapté (harnais de sécurité avec longe)” si la conception de l’engin ne peut éviter le risque de chute. Bien que l’obligation ne soit pas explicitement formulée pour toutes les nacelles, elle s’applique en pratique à celles à élévation multidirectionnelle (catégorie B) où le risque d’éjection est avéré. Des cas d’accidents mortels ont montré que les opérateurs qui n’ont pas porté leur ceinture ou leur harnais ont été éjectés et écrasés par l’engin lors d’un basculement, soulignant l’importance de ce dispositif de retenue.  

        Les autres consignes de sécurité

        Plusieurs autres règles pratiques, essentielles à la sécurité, doivent être respectées :

           

            • Respect de la charge maximale : Ne jamais dépasser la charge et le nombre de personnes autorisés par le fabricant.

            • Vérification de l’environnement : S’assurer de la stabilité du sol et de l’absence d’obstacles ou de lignes électriques à proximité.

            • Conditions météorologiques : L’utilisation d’une nacelle est interdite si les conditions météo, comme un vent supérieur à 45 km/h, compromettent la sécurité.

            • Sécurisation de la zone : La zone de travail doit être délimitée par des barrières ou des signalisations pour protéger les piétons.

          7. La responsabilité de l’employeur : conséquences juridiques et financières

          Le non-respect des obligations légales de formation, de maintenance et d’encadrement des opérations de levage expose l’employeur à de graves conséquences, tant sur le plan juridique que financier.

          La faute inexcusable de l’employeur

          En cas d’accident du travail, la victime ou ses ayants droit peuvent engager une procédure pour faire reconnaître la “faute inexcusable” de l’employeur. Pour que cette faute soit caractérisée, il faut que l’employeur ait eu, ou aurait dû avoir, conscience du danger auquel le salarié était exposé, et qu’il n’ait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.  

          Un arrêt de la Cour d’appel d’Angers du 24 avril 2012 illustre parfaitement cette notion. Dans cette affaire, un salarié est décédé après être tombé d’une échelle. L’entreprise disposait d’une nacelle, mais l’endroit était trop exigu pour l’utiliser. La famille a argumenté que l’employeur, conscient des risques liés au travail sur échelle, aurait dû fournir un équipement adéquat ou une méthode de travail plus sûre, ce qui a été jugé suffisant pour établir le manquement à son obligation de sécurité. Cette jurisprudence montre que le simple fait de disposer d’un équipement de sécurité ne suffit pas ; il doit être adapté et utilisable pour la tâche à accomplir.  

          Les sanctions

          L’entreprise qui ne se conforme pas à la réglementation encourt des sanctions pénales, civiles et administratives :  

             

              • Sanctions pénales : En cas d’accident grave, l’employeur peut être poursuivi pour mise en danger d’autrui (jusqu’à 1 an de prison et 15 000 euros d’amende) ou, en cas de décès, pour homicide involontaire (jusqu’à 3 ans de prison et 75 000 euros d’amende).

              • Sanctions civiles : La reconnaissance d’une faute inexcusable entraîne une majoration de la rente versée par la caisse d’assurance maladie à la victime, majoration que l’entreprise devra rembourser. De plus, elle devra indemniser les préjudices complémentaires subis (préjudice moral, esthétique, etc.).

              • Sanctions administratives et financières : L’entreprise s’expose à des amendes administratives, à une augmentation de ses cotisations “Accidents du travail” (jusqu’à 35% constatés), et peut même se voir interdire d’exercer ou d’accéder à des marchés publics.

            8. Conclusion : synthèse et recommandations pour une politique de sécurité proactive

            La gestion de la sécurité des opérations de levage est un enjeu de responsabilité collective, où chaque acteur, de l’employeur à l’opérateur, a un rôle crucial à jouer. La législation française est conçue comme un filet de sécurité à plusieurs niveaux, visant à prévenir les accidents en encadrant à la fois la machine, l’opérateur et les procédures de travail. L’analyse des textes et de la jurisprudence démontre que la simple possession de certifications ou d’équipements ne suffit pas. L’employeur doit incarner une véritable culture de la sécurité.

            Pour les professionnels, la conformité n’est pas une option, mais une obligation impérative. Le non-respect des règles, qu’il s’agisse d’utiliser un équipement non adapté, de ne pas former ou autoriser son personnel, ou de négliger les vérifications périodiques, peut avoir des conséquences dramatiques, tant humaines que financières.

            Récapitulatif des obligations par acteur

            Acteur Obligations clés
            Employeur Délivrer une autorisation de conduite basée sur l’aptitude médicale, le savoir-faire et la connaissance des lieux. Organiser et financer la formation des opérateurs (CACES® R489 ou R486). Assurer les   Vérifications Générales Périodiques (VGP) tous les 6 mois. Tenir un   registre de sécurité pour la traçabilité des opérations. Fournir les   Équipements de Protection Individuelle (EPI), notamment le harnais de sécurité si nécessaire.  
            Salarié / Opérateur Être déclaré médicalement apte. Avoir reçu une   formation adéquate (CACES®). Connaître et respecter les règles de sécurité, le manuel d’utilisation et les consignes propres au site. Procéder aux   vérifications de prise de poste. Porter les EPI requis.  
            Équipement Être conçu et certifié pour l’usage auquel il est destiné (charges ou personnes). Être soumis à un   entretien régulier et à des VGP semestrielles. Posséder un manuel d’utilisation et un carnet de maintenance accessibles.  

            L’adoption d’une politique de sécurité proactive, allant au-delà de la simple conformité réglementaire, est la seule approche viable. Elle implique d’investir dans la formation continue, de formaliser les procédures et de sensibiliser l’ensemble du personnel aux risques et aux bonnes pratiques. Une telle démarche non seulement préserve la vie des travailleurs, mais protège également la pérennité de l’entreprise face aux risques juridiques et financiers.

            Sources utilisées pour ce rapport : INRS, Aftral, Afnor, sites gouvernementaux (Legifrance, travail-emploi).